Deux fois par semaine [Christine ORBAN]

deux fois par semaine

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____J'ai vingt ans.
____Cent ans, parfois.
____Une vie commencée par la fin.
____Je suis jeune, mais qu'est-ce que la jeunesse quand on a perdu l'insouciance ?

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____Je ne sais pas s'il va comprendre, si ce type de maladie et répertorié, s'il sait à quel point cela fait mal, plus mal que le chagrin lui-même, d'être vivante dehors et morte dedans, s'il ne va pas me demander comme un professeur de français "de préciser ma pensée", et alors je me rétracterai et plus jamais il n'obtiendra un mot de moi.

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____Il attend sûrement que je montre mes faiblesses, mes atrophies, mes incapacités, mes phobies, mes inaptitudes, tout le bataclan qui m'empêche de vivre comme tous ceux qui, dès le matin, sourient à la vie juste en soulevant les paupières ; ceux qui sourient juste pour un rayon de lumière, juste pour l'odeur du café, juste pour un câlin. Ceux qui n'ont pas mal dans la poitrine, à peine éveillés, ceux qui ne sont pas obligés de respirer lentement par le nez pour ne pas se noyer, ceux qui n'ont pas peur de se lever, qui ne se plongent pas dans les livres pour trouver un sens à leur vie, ceux qui ne se confient pas à leur chien, à leurs journaux intimes, qui n'appellent pas leur âme sœur, qui n'avalent pas deux Xanax, qui ne méditent pas, qui ne versent pas trois tubes d'aspirine dans leur bain pour constater que rien n'y fait, que la plus grande injustice réside là, dès le réveil, dès l'ouverture des rideaux.

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____Pour protester, j'ai dû répondre : "Mais je ne suis pas folle. – Non, mais la vie l'est parfois, vous aurez besoin d'aide pour lui résister."

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____L'extérieur, je le connais mais je reste sur le quai.
____C'est l'autre côté de la vitre, de la rive, de la vie. Ce sont les autres, remuant, palabrant.
____Moi, je suis ici parce que l'extérieur est toujours extérieur, qu'il y a comme une vitre entre la vie et moi.

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____Le premier ennemi à combattre est à l'intérieur de soi. Souvent, c'est le seul.

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____L'eau me cerne, chaque fois que je viendrai dans cet endroit, je verrai l'eau, je m'accouderai à la balustrade avec l'envie de sauter. Mais je sais nager, nager dans l'eau. Pas dans la vie.

____Je me noie bien plus en restant sur le pont.

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____La peur dévaste. Elle souffle comme un ouragan et me laisse nue. Il ne reste rien en moi que la peur.

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____Je respire et, dans un souffle, glisse un flot de mots :
____– Certains évènements sont assez forts pour modifier une personne. La douleur m'a façonnée.
____Le psy, le visage pas très loin du mien :
____– Tout sert.
____Moi :
____– Le malheur ne sert à rien.
____Le psy :
____– Tout dépend de ce que vous en faites.

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____Tout le monde part. La vie est faite d'une succession de départs, de permissions, de séparations, de ruptures, de fins.

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