Jour de neige
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____2004. Concours de nouvelles à l'occasion du Salon du Livre de Montargis (45). Je remporte – à ma grande surprise – le premier prix du concours spécial lycéens. Alors que j'avais bâclé mon texte la veille de la clôture du concours, je me trouvais projeté sur une estrade, chaleureusement félicitée par l'auteure invitée à l'occasion du Salon – Annie Saumon –, puis interviewée par une journaliste du Journal du coin.
Jour de neige
____« Maman épluche les oignons pour la soupe. Ça lui fait les yeux
rouges. Elle dit que c’est ça qui l’a fait pleurer ainsi, mais moi je
ne la crois pas. J’ai beau être encore petite comme elle dit, je sais
qu’elle ment. Les larmes qui perlent le long de ses joues sont des
larmes de tristesse : la grimace qu’elle essaie en vain de me cacher le
prouve… »
____J’avais à peine douze ans lorsque j’ai écrit ces quelques lignes
retrouvées par hasard. Je me rends compte à quel point un
bouleversement peut faire grandir. Je soutiens mon point de vue quand
j’affirme qu’aucun enfant ne devrait passer par un tel chemin. La vie
semble parfois si dure pour certains. Qu’a fait un môme pour être
obligé de subir la cruauté de la vie ?…
____Me voilà en train de me replonger dans les tiroirs de mon vieux
bureau. Je replonge la tête la première entre mes vieux souvenirs
pleins de poussière…
____« Tout est calme dans la maison. Le silence a remplacé les
pleurs puis les cris. Maman va souvent se promener seule le long de la
mer. Elle dit qu’elle aime se « recueillir » ainsi. Au loin, je la
vois. Tout d’abord, elle marche. Je la vois passer une première fois,
puis une seconde. Puis elle s’assied contre le même rocher aux contours
polis par la mer qui l’a laissé là. Enfin, je l’aperçois se relever, le
visage livide. Elle rentre à la maison. Aucun mot. Toujours ce silence,
pesant. Et toujours ces yeux rouges qui ont déversé des larmes. Elle ne
le dit pas pour ne pas me faire de la peine, mais je sais que
lorsqu’elle me dit qu’elle va « se recueillir », c’est qu’elle va
pleurer. »
____Tout me revient : l’annonce de la nouvelle, les pleurs, les
cris, le silence. Surtout le silence. Ce silence qui nous pousse à
fermer toutes formes d’ouverture vers le monde, ce même silence qui
bouffe une personne de l’intérieur tel un rat le fait de n’importe quel
détritus.
____Janvier 1998. J’ai onze ans. Papa, comme chaque matin, me
réveille en douceur en me glissant un tendre et chaleureux « bonjour Ma
Puce » à l’oreille. Il sort de la chambre après m’avoir laissé un doux
baiser sur la joue, et laisse la porte ouverte pour ne pas que je me
rendorme. La lumière éclaire mon visage d’enfant. L’entrebâillement de
la porte laisse entrer l’odeur du pain qui grille dans le toaster.
L’effluve appétissant me fait me lever d’un bond, enchantée par cette
journée qui s’annonce merveilleuse. J’arrive dans la cuisine, Maman me
dit de regarder par la fenêtre. Je m’en approche et vois quelques
légers flocons qui recouvrent le sol déjà blanchi par cette neige. En
cette région, ce temps là est rare. C’est donc avec d’autant plus
d’émerveillement que Maman m’annonce:
____– « Cécile, je crois que tu n’iras pas à l’école ce matin et que tu t’amuseras dans le jardin.
____– Papa va rester jouer avec moi ?
____– Non, Papa doit aller travailler. Il est obligé. Mais ce soir, il y aura encore de la neige quand il rentrera. »
____De la neige, il y en a eu depuis cette matinée-là, ainsi que des
bonshommes de neige, des batailles, des igloos. Mais il n’y a plus eu
ces mêmes rires qui les ont accompagnés…
____J’ai passé ce lundi de janvier à jouer dehors. Je me suis
seulement arrêtée à seize heures lorsque Maman m’a appelée pour que je
reprenne des forces. Après une part de gâteau aux pépites de chocolat
encore tiède et un bol de chocolat chaud comme elle sait si bien les
faire, j’étais déjà repartie. J’ai encore joué dehors durant une bonne
heure, roulant une autre boule de neige pour faire un troisième
bonhomme de neige, plus petit que les autres, représentant le dernier
membre de la famille : moi.
____Puis soudain, Maman m’a appelé. Je n’ai pas reconnu le son de sa
voix tout de suite. Je me suis déchaussée sur le pas de la porte et
suis rentrée. Elle était assise sur le canapé, livide. Je me suis
approchée d’elle.
____– « Viens t’asseoir à côté de moi Ma Puce.
____Habituellement, seul Papa m’appelle « Ma Puce ».
____– … ?
____– On vient de téléphoner à la maison… C’était des médecins. Ils
m’ont dit que… Ils ont fait tout ce qu’ils pouvaient, qu’ils avaient
essayé pendant plus d’une heure… Ma Puce… Papa a eu un accident à cause
de la neige… Il… Il est… parti… pour toujours… »
____Je me suis levée, me suis dirigée vers la porte d’entrée, ai
enfilé mes bottes, ai ouvert la porte, me suis dirigée vers mes trois
bonshommes de neige représentant notre famille et ai détruit « papa
bonhomme de neige »…
____C’est après six ans – six longues années à vivre sans père –
que je me rends compte de ce geste. J’ai détruit ce bonhomme de neige
comme cet accident à détruit l’enfance d’une gamine. Gamine qui s’est
refermée sur elle-même comme une huître. Gamine qui n’a plus osé
affronter la Vie de peur qu’à nouveau Elle ne détruise tout. Gamine
dont le père lui manque et lui manquera toujours…
____« Maman m’a dit que Papa était mort. Mais je sais que c’est
faux. Papa n’était pas vieux comme Papy, il ne peut pas aller le
rejoindre aux Cieux. »
____Je n’ai pas compris tout de suite que Papa ne reviendrai plus
jamais. Je m’étais terrée dans ma chambre quand, au bout de quelques
minutes, j’ai réalisé. Je suis sortie et suis allée voir Maman :
____– « Maman, Papa est vraiment parti ?
____– Oui Ma Chérie, il est vraiment parti.
____– Il ne verra plus mes spectacles ? Ni mes bonnes notes ? Ni…
____– …
____– Va falloir mettre tout le monde au courant : Mamy, Tonton, Tata…, repris-je.
____– Je sais… dit-elle dans un soupir. »
____Alors avec Maman on s’est levées. On s’est habillées et on est allées prévenir la famille…
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jour de neige